dimanche 9 avril 2017

La victime du juge

La victime est aussi l’assassin. Il est le fils de la Juge. Il a été blessé lors de son arrestation. Il est donc aussi effectivement une victime selon la loi.

L’accusé, pour sa défense, interpelle sa mère, la Juge.

Plaidoirie de l’accusé :

- Madame la Juge, ma mère, tu m’as impliqué sous la contrainte dans ton jeu de la Vie, dans ton jeu social. Est-ce légal ? La fabrication d’une personne parait être un but en soi pour les croyants, mais je sais que ce n’est pas ton cas, puisque tu te prétends rationaliste donc athée. Alors quelle raison donnes-tu à la fabrication de mon existence ? Est-ce que tu suis une règle ou une injonction ?

Sais-tu qu’aucun être intelligent ne lancerait pour son service la fabrication d’une existence, et en plus sans la maitriser. Pourtant ton ventre m’a fabriqué. Tu m’as fabriqué à l’aveugle, comme un simple animal. Est-ce donc un animal incompétent qui me juge ? Dois-je te récuser pour cette raison ?

Comment puis-je être responsable de mes actes si tu es toi-même responsable de tes actes ? Puisque tu m’as fabriqué, tu es selon la loi responsable de ce que tu as construit. Comment pouvons-nous être tous les deux, et même tous les trois avec mon géniteur, responsables de la même chose, c’est-à-dire de moi-même, ton propre fils ? Et si c’est le cas pourquoi n’êtes-vous pas à mes côtés comme coaccusés ?

Tu ne peux pas te réfugier derrière l’automatisme de ma fabrication pour nier ta propre responsabilité. Oui, j’ai poussé en toi comme une plante. Mais c’est bien toi qui as lancé ma construction dans ton utérus. N’est-ce pas ? Copuler est un acte parfaitement volontaire. Et tu en connaissais toutes les conséquences sur moi, et même sur toi. Car j’aurais pu naitre orphelin. Mais tu l’as fait sans vergogne. Tu pensais sans doute «Alea jacta est», quand vous copuliez pour me lancer dans la vie.

Pourquoi, celle qui engendre, toi ma mère, Madame la Juge, ainsi que ses complices sociaux, que tu représentes en tant que notable, n’auraient-ils pas la responsabilité d’engendrer et tout ce qui s’ensuit qui est nécessairement inclus dans cet acte initial volontaire ?

Si tu tires quelqu’un dans ton potager et qu’il piétine tes salades, est-ce lui ou toi le responsable? Si tu fabriques un enfant et que tu le mets au monde dans le jardin France, est-ce lui ou toi le responsable des dégâts qu’il cause ?

Comment t’es-tu défait de ta responsabilité de ma construction et de mon éducation ? Je suis né avec des fonctionnalités que tu as construites, toi, ma mère, dans ton ventre, et je n’en suis pas responsable.

Un constructeur de voiture autonome n’est-il pas responsable des accidents causés par son véhicule? On dirait que vous considérez les êtres humains moins importants que de simples voitures ! Tous constructeurs, pas de service des mines pour une personne…

Passons à la partie supérieure, celle qui me différencie d’un simple animal, dites-vous. Je suis né vierge de toute signification culturelle, et tu as donc dû remplir ce livre blanc qu’était mon cerveau. Mais c’est toi qui l’as fait, pas moi. C’est toi la responsable du contenant que je suis matériellement et du contenu que tu y as déversé. Tu m’as nourri aussi bien le corps que l’esprit, ou plutôt l’intellect ; restons matérialistes. Si tu es responsable de l’un, tu es responsable de l’autre, n’est-ce pas ? Où est la différence ?

Et connaissais-tu parfaitement les moyens de m’éduquer, quand tu t’es proposé de lancer mon existence sans vergogne ? Aujourd’hui, en sais-tu un peu plus ?

Savais-tu qu’il était impossible de me formater exactement? Savais-tu que tu m’utilisais uniquement comme un enregistreur avec mes yeux comme caméra, mes oreilles comme micro, et ma peau comme surface tactile ? J’ai longtemps été un bébé-objet entre tes mains.

Savais-tu, que mon cerveau, que tu as construit à l’aveugle comme tout le reste, est un automate et qu’il travaille tout seul. La science le dit, tu peux vérifier. Je ne suis pour rien dans cet enregistrement dont je suis le résultat, puisque c’est toi qui as réalisé ce machin, si complexe que personne n’est en mesure de le maitriser ?

Tu es responsable de mon quotient intellectuel, de mon quotient physique, ainsi que de mon quotient émotionnel.

Tu es responsable de ma fabrication et du lieu où tu m’as installé. Je n’ai pas désiré exister et vivre ici ou là dans telle société et dans telle culture, ni à telle époque. Tu m’as tout imposé de A à Z, mon corps d’asticot et mon intellect débile que tu veux juger aujourd’hui.

Si j’avais signé un contrat avant d’exister, j’aurais au minimum opté pour un superman, immortel et incapable de souffrir bien entendu.

Le choix de mon corps, que tu as fait d’après tes propres caractéristiques, n’est pas le mien. Ton univers n’est pas celui que j’aurais choisi. Ton type de vie, ta société, ton monde et vos guerres incessantes, je ne les aurais jamais sélectionnés dans le catalogue que tu ne m’as pas présenté. Pourquoi n’as-tu pas fait ce choix pour moi, si tu avais eu la prétention de m’aimer par avance ?

Sept-milliards d’heureux évènements que sont supposés être les bébés devraient faire un monde plus qu’heureux, mais c’est tout le contraire. Cela ressemble plus à un champ de bataille.

Tout ce que j’ai dans la tête, tout ce qui induit mes actions, c’est vous, toi et la société, qui me l’avez imposé. Comment puis-je avoir en moi autre chose que ce qui m’imprègne constamment, quotidiennement, seconde après seconde, et déjà dans ton ventre dès que l’ovule, qui est mon initiateur et que vous prétendez que j’étais déjà, commence à se diviser ?

L’ovule qui part à la poubelle dans une serviette hygiénique c’est une partie de toi, mais quand il est fécondé il devient moi ? C’est absurde !

J’existe parce que tu as lancé ma construction à partir d’une cellule. À ce stade-là, suis-je responsable de moi-même ? La cellule se divise, en deux puis en quatre. À ce stade suis-je responsable de ce que je suis ? La division et la multiplication se poursuivent. L’embryon est visible au scanneur. Suis-je responsable de moi-même. Bientôt le fœtus. Suis-je responsable de cette chose difforme qui ressemble au bébé à venir ? À douze semaines, tu ne peux plus avorter, la loi te l’interdit. Suis-je responsable de mes actions ? Six mois ont passé, le bébé que je suis devenu est enfin viable. Suis-je responsable de mes actes dans ton ventre ? Déjà le système nerveux est actif, il enregistre. Quoi donc, qu’enregistre-t-il ? Suis-je pour autant responsable de quoi que ce soit ? Et ainsi de suite, je te pose la même question pour toutes les étapes de ma fabrication. Je suis un mécanisme continu, il n’y a même pas d’étapes, pas de seuil à franchir. Quand vais-je devenir responsable d’exister ?

Comment est-ce possible ? À quel moment mon fantastique cerveau a-t-il pu devenir autre chose qu’un automate débile constitué d’automates débiles ? À quel moment cette chose que je n’ai pas commandée moi-même chez le père Noël, et au départ vierge de significations culturelles, est-elle devenue punissable, car responsable d’exister et de s’être auto-formatée? Mon cerveau n’est-il plus un automate maintenant que je suis adulte ?

À quel moment étais-je moi et plus toi ? Quand tu le décides, ou quand la loi le décide, dès que tu ne peux plus te débarrasser du mécano alimentaire ! Et moi, quand ai-je décidé d’être moi-même ?

Suis-je responsable de cet ovule et de ses divisions qui continuent encore et encore aujourd’hui ? Je suis même obligé d’acheter mon corps quotidiennement, c’est-à-dire mes aliments, pour que ces divisions se poursuivent et pour garantir ma mobilité. Pourtant c’est toi qui as lancé ce mécanisme stupide. Je suis prisonnier de l’ordre que tu m’as donné d’exister et de cet esclavage alimentaire.

Comment as-tu pu m’imposer d’exister, donc sans mon accord, tel que je suis avec mes défauts, avec ma fragilité ? C’est toi qui m’a construit ainsi. Tu m’as fabriqué capable d’être tué, et capable d’être tueur, pourquoi en serais-je responsable ? Pourquoi ne m’as-tu pas fabriqué immortel et incapable de souffrir ? Je n’aurais ainsi pas pu être une victime et si les autres avaient été comme moi je n’aurais pu être un assassin. Si j’avais tout possédé et si le désir avait été absent de ma pensée, je n’aurais rien désiré, et je n’aurais rien eu à voler. Tu m’as donc construit potentiellement voleur et potentiellement criminel. Pourquoi ? Pourquoi, si tu ne le voulais pas, m’as-tu fabriqué ainsi ?

Et pourquoi me juges-tu puisque tu devais savoir ce que tu faisais en me fabriquant ?

Si tu m’as fabriqué avec un libre arbitre, tu dois m’expliquer son fonctionnement, car tu dois être experte pour oser concevoir un enfant qui vaut selon la loi bien plus qu’une simple voiture !

Explique-moi comment tu peux « m’imposer le libre arbitre » tout en m’imposant d’exister. Personne ne peut expliquer ce fameux libre arbitre. Sa définition même le rend impossible. Qui peut se déterminer lui-même, et à quoi cela sert-il puisque si j’existe au préalable pourquoi aurais-je besoin de me déterminer ?

Cela semble plutôt antinomique d’imposer à quelqu’un la liberté et le libre arbitre. C’est même tout à fait absurde.

Madame la Juge, pour être responsable il faut deux choses, se construire soi-même, et que cette construction n’oublie pas l’implantation du libre arbitre, en sachant ce qu’il est, et comment faire pour l’implanter, évidemment. Bien entendu, c’est impossible.

Et si une personne m’a construite, c’est-à-dire, toi Maman, tu dois m’obliger à posséder ce libre arbitre, mais dis-moi donc comment ce miracle du libre arbitre s’est-il installé en moi, comment as-tu procédé ? Et d’ailleurs pourquoi en voudrais-je ? Le libre arbitre est-il aussi obligatoire que mon existence d’esclave à ton service ?

Tu m’as construit pour que je devienne autonome sans mon autorisation. Mais je n’ai pas de libre arbitre, sinon tu serais en mesure de le décrire avec précision, au moins la science officielle. Au fait, as-tu demandé à tes experts d’en faire la démonstration ? S’il répondait par l’affirmative à ta demande, tu pourrais être soulagé d’avoir incarcéré tant de monde !

Pourquoi devrais-je accepter ce cadeau empoisonné du libre arbitre ? S’il s’agit bien d’un libre arbitre, je te le rends. Fais-en ce que tu veux, implante-le dans ton cerveau, tu en auras deux et tu seras doublement responsable puisque tu as l’air d’aimer ça. Et libère-moi ! Émancipe-moi vraiment !

L’esclave est libre de faire les gestes qu’il veut pour ramasser le coton, mais il doit faire son travail de forçat. L’existence se vit selon le même principe esclavagiste. Certes je suis libre de cesser d’exister, mais je ne suis pas libre d’exister, j’y ai été contraint par toi. C’est mon esclavage et je dois l’accomplir jusqu’au bout, même si je peux, selon toi, choisir mes gestes en toute liberté avec le corps et les membres que tu m’as imposés pendant ce bagne que tu m’as contraint de subir.

Juge-toi toi-même pour tes erreurs de fabrication et dis à ta mère d’en faire autant pour toi, et à la mère de ta mère, et ainsi de suite jusqu’à notre ancêtre commun à tous les primates et même jusqu’à la cellule initiale !

Vous ne voulez pas diluer la responsabilité dans le temps et responsabiliser des personnes qui n’existent plus alors vous allez au plus simple. Ça coute moins cher de me punir moi tout seul et de m’enfermer dans une cellule. Ça vous parait plus rentable. Pourtant vous faites erreur. À la longue, ce n’est pas rentable, vos fautes d’interprétations de l’être humain s’accumulent et se multiplient avec le nombre d’humains existants, bientôt huit milliards, bel explosif !

Vous fabriquez les gens et vous les mettez à la casse comme des véhicules défectueux. Vous leur coupez le cou, vous les fusillez, vous les électrocutez, pour vous être trompé dans leur fabrication et leur éducation. Ça sert aussi d’exemple et ça sert à éduquer le petit peuple. Quelle morale ! Quelle justice ! C’est pratique. C’est absurde. C’est ridicule. C’est stupide. C’est animal.

Tu ne m’as pas fabriqué pour moi-même puisque je n’existais pas. Tu ne pouvais que m’apporter la souffrance et la mort, car le reste n’est-il pas normal ? Le reste, c’est-à-dire le bonheur, la santé, la richesse, la beauté et l’intérêt de la vie.

Tu m’as fabriqué pour ton service, pour tes désirs, pour tes pulsions animales de femme, pour expérimenter la maternité.

Faire un bébé est un crime en soi, du pur esclavagisme. Ce cher poupon est fabriqué pour le service du fabricant, pour toi en ce qui me concerne, toi ma mère et aussi Madame la Juge. Quel que soit ce service. Par exemple, avoir besoin d’un être objet à qui l’on demande son amour après avoir risqué son enfer terrestre. Comme si la Terre manquait de personnes à aimer. Avoir besoin d’un serviteur social. Avoir besoin d’un remplaçant social comme boucher à la place du boucher. Se croire important au point de penser que ses gènes ne doivent pas disparaitre alors que l’on sait que tout évolue. Et bien d’autres raisons invoquées et absurdes.

Le faire à l’aveugle sans maitriser sa fabrication est un crime supplémentaire. L’installer dans ce monde belliqueux et malsain est encore plus criminel.

Pourtant, toi, en tant que juge, ne voyais-tu pas à longueur de journée les crimes et le malheur qui étaient et qui sont encore ton quotidien dans cette société que tu m’as imposée ? Tu as choisi ta fonction de juge, mais tu as choisi pour moi ma place d’homme et de citoyen.

Si je suis ton égal selon les Droits de l’homme, pourquoi ce pouvoir que tu as eu sur moi ne puis-je l’avoir sur toi ? Je ne veux pas avoir le même droit que toi sur une autre personne, je veux pouvoir te rendre ce que tu as commis sur moi. Cet acte criminel de m’imposer la vie avec toutes ses souffrances et la mort.

Puisque tu es juge, tu sais parfaitement que la mise en danger de la vie d’autrui est un délit, et donc que la Loi interdit cette mise en danger, et dans le cas de la mise au monde c’est une mise en danger infinie comparée à l’absence totale de danger de l’inexistence.

Tu es coupable. Tu n’es pas un animal qui se reproduit stupidement. Tu n’as pas été violée. Tu ne fais pas un enfant par an mécaniquement jusqu’à épuisement de tes milliers d’ovules et épuisement de tes forces. Tu as choisi de lancer ma fabrication, en toute connaissance de cause et d’effet, sur mon dos d’innocent.

Je suis jeune et je peux encore subir des handicaps d’origine génétique, ou attraper de nombreuses maladies. Ce n’est pas parce que tu cours toi-même ces risques que tu as le droit de me les faire courir. Je ne suis pas toi. Je ne t’appartiens pas. Ton enfant n’est pas toi, et pas plus mon père, ni une reproduction de l’un d’entre vous, je ne suis pas votre continuité, je suis une autre personne.

Tu m’as condamné à mort dès ma naissance. Que t’ai-je fait avant d’exister pour que tu m’imposes vos malheurs, votre vie sordide ?

Un des principes de base des Droits de l’homme est qu’à la naissance je ne sers à rien, ni à toi, ni à personne, sinon c’est que tu as prévu pour moi la place que je vais occuper, comme si je n’étais qu’un rouage familial ou social, c’est-à-dire un esclave. Si je ne sers à rien ni à personne, pourquoi m’as-tu mis au monde ?

Tu aurais pu me rendre handicapé dès la naissance, mais selon la société et toi-même, j’ai eu de la chance, je ne le suis pas ni physiquement ni intellectuellement, pourtant c’est à moi de décider de mon ressenti sur le handicap et non à toi. Je ne suis peut-être pas handicapé physiquement ou intellectuellement par rapport à vous, mais je suis minable comparé à celui que je voudrais être.

Tu m’as fabriqué handicapé, et c’est à moi de le décider. Comment me dédommages-tu ? En me jugeant, en m’envoyant en taule !

Ça ne t’a jamais rongé ta tête, jamais ta morale, jamais ton éthique de juge, jamais ton honnêteté, de risquer ma santé avant même que je sorte de ton ventre ? Tu devrais pourtant être parfaitement au courant de la notion de crime par imprudence, Madame la Juge !

Tu m’as tiré avec violence dans ton potager et j’ai piétiné tes laitues, tes tomates, est-ce moi ou toi le responsable ? Tu as fabriqué un enfant et tu l’as mis au monde dans le jardin France, est-ce moi ou toi le responsable des dégâts que tu prétends que j’ai causés selon vos règlements ?

Es-tu responsable, toi la fabricante, la mère, la juge ? Es-tu responsable des dégâts causés sur l’être fabriqué et sur la non-viabilité du lieu où tu l’as installé, tu sais, moi, ton enfant, cette autre personne non responsable d’exister, mais que tu déclares responsable pendant son existence. 

Dois-je aimer et respecter ce lieu, et te respecter, parce que tu en as décidé ainsi ?

Je n’ai aucune dette envers toi, ma mère, ni envers la société que tu représentes en tant que juge, puisque vous m’avez imposé d’exister, toi et elle ta complice. Et je ne vois pas pourquoi je devrais suivre vos règles puisque je ne les ai pas signées avant que tu m’imposes l’existence.

Je suis le pion que tu as fabriqué et placé dans ton jeu, votre jeu.

Suis-je votre esclave ? Dites-le franchement, ne tournez pas autour du pot. Inscrivez les règles exactes de notre existence dans les Droits de l’homme, puisque vous les avez inventées, afin que nous ne soyons pas surpris par votre duplicité d’animaux, votre hypocrisie d’êtres supposés intelligents.

Branchez la chaise, Madame la Juge, j’arrive ! N’oublie pas de venir me voir griller, ma mère ! Et comment seras-tu heureuse au paradis des rationalistes si je brule éternellement dans l’enfer des croyants, très chère Maman?


Fin